Les rongeurs Theridomorpha à l’Eocène inférieur : les débuts inattendus d’une radiation adaptative
Résumé
De nos jours, les rongeurs constituent le groupe de mammifères le plus divers, avec
2280 espèces environ. Cette grande diversité est le résultat de séquences de radiations
adaptatives et de transformations évolutives, ponctuées d’épisodes d’extinctions, depuis leur
origine à la fin du Paléocène (e.g. div. in Black & Dawson 1989 ; div. in Cox & Hautier
2015). Parmi les multiples radiations du passé, celle des Theridomorpha est particulièrement
informative. En effet, sur la base de leurs abondants fossiles, on a pu constater qu’elle s’est
déroulée sur un territoire restreint, l’Europe Occidentale et durant 25 millions d’années, de la
fin l’Eocène inférieur jusqu’à la fin de l’Oligocène. Les rongeurs européens plus anciens
étaient attribués à la superfamille EurAmericaine des Ischyromyoidea (e.g. Escarguel 1999).
Parmi eux, le genre Hartenbergeromys Escarguel était considéré comme le genre-frère des
Theridomorpha (Escarguel 1999 ; Marivaux & Vianey-Liaud 2004). Sur la base d’une analyse
phylogénétique exhaustive, basée essentiellement sur les caractères dentaires, ce genre ainsi
que Pantrogna Hartenberger ont été placés dans une superfamille indet. au sein des
Theridomorpha, comme groupe frère des Theridomyoidea (Vianey-Liaud & Marivaux 2016).
Partageant des apomorphies dentaires avec eux, ils auraient conservé une région infraorbitaire
(f.i.o.) plésiomorphe (i.e. protrogomorphie), tandis que les Theridomyoidea ont
développé l’hystricomorphie.
Par ailleurs, le genre Masillamys, défini par Tobien (1954) pour trois espèces de Messel
(M. begeeri, M. krugi et M. parvus), n’avait pas été pris en compte dans notre analyse car ce
genre était considéré comme « sciuromorphe » et placé dans la tribu des Microparamyini au
sein des Ischyromyoidea (Escarguel 1999) ; les espèces krugi et begeeri étaient mises en
synonymie et parvus attribué au genre Hartenbergeromys, sans qu’une analyse précise de leur
morphologie dentaire n’ait été faite. Or, l’observation des squelettes récoltés à partir des
années 1990 au Senckenberg Museum (Francfort) et au Hessisches Museum (Darmstadt),
ainsi que les rangées dentaires types, nous permettent de ranger le genre Masillamys au sein
des Theridomorpha, sur la base de leur f.i.o. hystricomorphe et de leurs caractères dentaires,
ces derniers permettant aussi de maintenir les trois espèces.
A partir de là, il nous est apparu important de reconsidérer les restes de la région infraorbitaire
mais aussi le matériel dentaire de Pantrogna marandati et Hartenbergeromys
hautefeuillei de Prémontré. Ces deux espèces sont clairement hystricomorphes. L’espèce-type
de Pantrogna est P. russelli (Michaux 1964) de la localité plus ancienne d’Avenay, mais pour
cette espèce il n’y a pas de restes de la région infra-orbitaire ; par contre d’autres genres
contemporains ou un peu plus anciens et considérés comme ischyromyoides, tel le
Pseudoparamys de Mutigny ou le Sparnacomys d’Abbey Wood, montrent également un large
foramen infra-orbitaire, hystricomorphe.
Finalement, c’est l’ensemble des caractères dentaires de ces genres que nous sommes en
train de revoir, sur la base d’une terminologie commune et précise, qui permettent de les
comparer concrètement, et in fine, d’évaluer leur positions respectives dans un contexte
phylogénétique.