Maximum Thermique du Paléocène-Eocène et renouvellement faunique des mammifères en Europe : un nouveau site des Corbières (Aude, Occitanie) ébranle les scénarios paléobiogéographiques
Résumé
Le Maximum Thermique du Paléocène-Eocène (PETM, ~56 Ma) est l’événement
hyperthermique le plus marquant du Cénozoïque. Cette perturbation climatique
majeure, rapide et de forte amplitude (augmentation de 5-8°c des paléotempératures
globales) est souvent considérée comme le meilleur analogue géologique au
réchauffement actuel de la biosphère. Le PETM a ainsi profondément impacté les
écosystèmes marins et terrestres. Sur les continents holarctiques, en favorisant la mise
en place de forêts tropicales sous les hautes latitudes, le PETM a permis des dispersions
intercontinentales rapides de plusieurs groupes de mammifères. Inversement, plus
localement, le PETM aurait initié de forts provincialismes aux niveaux spécifique et
générique ; c’est le cas en Europe. A l’échelle de ce continent, nos connaissances restent
toutefois disparates et limitées. Dans la bioprovince du sud-ouest européen (Portugal,
Espagne et Sud de la France), le registre fossile juste avant le PETM est ainsi limité à de
rares faunules découvertes en Espagne ; les sites de l’Eocène inférieur sont plus
nombreux et riches, particulièrement dans le sud de la France, mais ils restent mal
contraints par rapport au PETM.
La découverte récente par notre équipe d’un site dans les Corbières audoises à la faune
diversifiée et précisément datée par chémostratigraphie (δ13Corg) juste avant le début du
PETM est par conséquent un jalon important. A ce jour, 14 espèces de mammifères y
sont documentées. Si la présence de certains taxons (adapisoriculidés, nyctithériidés et
condylarthres louisinidés) n’est pas surprenante pour un site du Paléocène terminal, la
découverte de rongeurs, d’un marsupial herpétothériidé, d’un créodonte, d’un
plésiadapiforme paromomyidé et d’un possible pseudorhyncocyonidé est inattendue.
Cette faune documente ainsi les premiers rongeurs européens avérés (à ce jour seules
des incisives fragmentaires étaient connues du Paléocène terminal du Bassin de Paris et
de Roumanie). De même, la faune documente les premiers herpétothériidé, créodonte
et paromomyidé du Paléocène terminal européen. Tous ces taxons ont une affinité
nord-américaine. Jusqu’à présent, leur première occurrence en Europe dans des sites
syn- et post-PETM laissait penser que cet événement climatique avait favorisé leur
dispersion depuis l’Amérique du Nord. Nous montrons au contraire que l’arrivée en
Europe de ce cortège faunique serait tout juste antérieure au PETM et sans lien direct
avec ce réchauffement.