Quels futurs nous réservent les modèles d’anticipation de l’avenir ? - Laboratoire COSTECH - Connaissance Organisation et Systèmes TECHniques
Pré-Publication, Document De Travail (Working Paper) Année : 2021

Quels futurs nous réservent les modèles d’anticipation de l’avenir ?

Résumé

Les modèles et la modélisation jouent un rôle prépondérant dans la compréhension que nous nous faisons de notre situation (actuelle, passée et future). La prospective ou la futurologie, qui développent ce type de modèle, sont directement impliquées dans la mise en évidence de la « crise écologique », dans l’injonction à « entrer en transition » (écologique, énergétique) et à mettre en œuvre des mesures pour un « développement durable ». Qu’il s’agisse du modèle global du Club de Rome (en 1972, The Limits to Growth), des modèles climatologiques du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), de modèles de biodiversité ou d’autres modèles de la biosphère (océanographique, des grands cycles terrestres, des ressources énergétiques ou minières), la simulation et la projection de scénarios permet de construire des images de futurs possibles qui influent sur notre manière de penser l’avenir (souvent dans un sens négatif, en nous montrant que l’avenir que l’on projette n’est pas envisageable du point de vue des limites géophysique de la terre). Ces modèles d’anticipation de l’avenir, qui font appel à la science et à des techniques de modélisation informatique avancées, ne sont pas neutres du point de vu de l’anticipation : ils changent notre manière d’anticiper ! les Techniques – et les technologies – sont Anthropologiquement Constitutives (thèse TAC travaillée par le laboratoire Costech de l’UTC) et elles ne sauraient être comprises comme de simples moyens séparables des fins pour lesquelles elles sont mises en œuvre et développées. Ainsi, avec les modèles de la prospective et la modélisation- systémique, les conditions technologiques de l’anticipation de l’avenir changent. On a donc affaire à un couplage nouveau, sans précédent dans l’histoire de l’humanité, entre anticipation, décision et action. Et de la compréhension et des caractéristiques de ce couplage dépendent bon nombre de processus socio-écologiques, économiques et politiques. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’émergence du catastrophisme (philosophique, bioéthique) et des théories (récemment médiatisées avec la collapsologie) sur l’effondrement. Ces manières d’anticiper l’avenir sont le fruit de la transformation de l’anticipation à l’œuvre du fait de l’utilisation et du développement de modèles. En même temps, ce positionnement (catastrophiste ou effondriste) par rapport à l’avenir converge avec le discours de la Bioéthique Globale, qui voit le fondement de l’éthique dans la vie (au delà la la bioéthique clinique, restreinte au domaine de la santé dans un contexte médical). Ainsi, les images de futurs possibles construites à partir des modèles impliquent en retour des prises de position bioéthiques par rapport à l’avenir : c’est la vie sur terre, en tant qu’habitat « naturel » de (ou nécessaire à) l’homme qui est menacée et qui à son tour menace l’espèce humaine. On a affaire à une vision largement systémique qui, si elle reconnaît le rôle prépondérant de l’homme dans cette dynamique « destructrice » ou « menaçante » (aire de l’anthropocène), ne le considère pas comme l’aboutissement de la vie. C’est même le contraire qui est considéré : de par son développement technoscientifique et son fonctionnement économique (axé sur la croissance) l’homme est devenu une espèce fragile, dont les conditions de survie semblent ne plus aller de soi du fait que certains seuils biologiques ou géophysique sont ou risquent d’être dépassés – compromettant ainsi les conditions de survie de notre espèce à l’avenir. À sa manière (certainement critiquable), le discours du catastrophisme et de l’effondrisme dénonce l’impasse (pour la vie humaine) à laquelle conduit la manière « classique » (anthropocentrée, individualiste, basée sur la croissance économique) dont nous nous projetons dans l’avenir. Dans ce sens aussi, ces postures appellent (implicitement ou explicitement) une prise de position bioéthique par rapport à l’avenir, en lien étroit avec la modélisation systémique et l’utilisation de modèle. Pour approfondir et comprendre ce changement dans notre manière d’anticiper, nous reviendrons sur les fondements épistémologiques et éthiques de la prospective en France, avec Gaston Berger (distinction entre prévision = anticipation « linéaire » d’évènements « à court terme » et prospective = anticipation « non linéaire » de situation « à long terme »). Nous nous concentrerons alors sur le développement de certaines techniques emblématiques de la prospective et de la futurologie (comme la méthode des scénarios), notamment à travers la circulation d’outils et de modèles entre la France et les États-Unis (dans le contexte civil et militaire de l’après seconde guerre mondiale). Cela nous permettra de mettre au jour les constituants bio-éthiques et techno-logiques du terrain sur lequel croît ce changement dans notre manière d’anticiper. Le changement prospectif et bioéthique de l’anticipation dont nous parlons a donc des implications rationnelles, éthiques et même scientifiques profondes, qui renouvellent notre rapport à l’avenir. Le couplage entre modèles d’anticipation et anticipation humaine change les conditions de l’anticipation : ce n’est plus « simplement l’homme seul (l’individu, l’agent économique rationnel) » qui se retrouve au centre de nos préoccupations par rapport à l’avenir mais bel et bien l’homme en tant qu’espèce vivante au sein de la biosphère. Il ne s’agit pas de nier l’importance de l’individu et des vécus de conscience de celui-ci mais au contraire de montrer qu’avec les modèles, les individus sont « cognitivement couplés » avec d’autres horizons, qui sont ceux-la même que tente de considérer la Bioéthique Globale. Adopter ces horizons n’est pas neutre par rapport à l’anticipation : l’avenir n’apparaît plus sous les mêmes traits, ne présente plus les mêmes attraits, peut devenir menaçant ou au contraire se réenchanter…
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Steve Macraigne. Quels futurs nous réservent les modèles d’anticipation de l’avenir ?. 2021. ⟨hal-04729072⟩
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