Habiter en copropriété peut-il être émancipateur ? - Altérités et Territoires
Chapitre D'ouvrage Année : 2023

Can living in a condominium be emancipating ?

Habiter en copropriété peut-il être émancipateur ?

Résumé

Unexpectedly, two recent social home ownership operations, carried out in Nanterre in 2014 and in Paris in 2008, gave rise to strategies of resistance and collective action of residents which were successful, in both cases studied here, to legal actions and the intervention of lawyers, engaged on behalf of collectives of residents, against the leaders of the operation, architects, companies and developers, up to the public authorities at the initiative of these projects. However, nothing suggested the creation of such mobilizations. For these residents, the majority of whom lived in public housing, becoming an owner was a godsend. Thanks to these accession programs reserved for beneficiaries of social housing, they benefited from an apartment at a price at least a third lower than the market price and even today they consider that they have had a lot luck. Social home ownership are real estate operations intended for working-class people wishing to acquire their main residence. These operations benefit from state aid and are subject in return to specific constraints such as compliance with resource ceilings for buyers. The two operations that we are going to discuss were initiated on the one hand, by the municipality of Nanterre and the public development establishment Seine Arche, and on the other, by the city of Paris, with a different goal. For the municipality of Nanterre, through this operation carried out in 2014, it was a question of establishing a long-standing Nanterre population with a view to empowering its inhabitants. The town hall of the northern district of the capital, at the initiative of this operation carried out in 2008, wanted to establish a new building for social access to co-ownership at the heart of an urban project of “revitalization” of a district, in order to to create social diversity. Reserved for HLM tenants present in these two cities, beyond a question of income, local considerations in terms of population and town planning therefore played an essential role in the genesis of these projects: participation of buyers in the design of the project and guarantee of the community vis-à-vis the lending banks to Nanterre buyers; relative respect for the constraint of resource ceilings for the Parisian operation, in order to bring middle classes into a working-class neighborhood. These operations did not have the outcome expected by their initiators and the local considerations that we have just mentioned played a significant role in the subsequent mobilizations of the residents concerned. These were formed even before the delivery of the buildings, following the discovery in Nanterre of significant construction defects (lack of foundations, waterproofing problems, etc.); and in Paris, from the meeting organized by the mixed economy company which managed the operation, in order to choose the trustee. This protest continues after their entry into the accommodation, with residents complaining about usage problems and what appears to them to be construction defects. On our two sites, these complaints gradually became collective, until the creation of mobilization fronts. It is the unexpected dimension of these protests, as much as their nature and the political meaning to be given to them that we wish to question here. This approach is consistent with the general perspective of the case in that it reveals practices of emancipation that are not very visible, outside the traditional scenes of political expression. These fields offer configurations that would quickly have been classified as strictly individualistic practices. However, we observe in these two cases, the discreet but powerful constitution of real individual and collective grips on reality. We will attempt to clarify the scope and limits of these actions which attempt to articulate, not without tensions, the possession of a “good” and a process of “emancipation”. Our reading of these relationships is based on the idea that housing is not a good like any other in the sense that it is inseparable from “living in it”. The private sphere, of private life, is inherently predominant and at the same time, that of “daily life” is shared by everyone. It is, in our opinion, the common importance given to this sphere of the private which allowed the emergence and gave its strength to a “public”, and favored discreet forms of individual and collective emancipation. However, in co-ownerships of this type, the sharing necessary for daily living constitutes a danger for the common commitment and weakens the scope of this process of emancipation. In both cases, in fact, we noted how much this commitment tested the sociability of the residents, nevertheless with a shared feeling, that of a story that is not closed.
De manière inattendue, deux opérations récentes d’accession sociale à la propriété, livrées à Nanterre en 2014 et à Paris en 2008, ont donné lieu à des stratégies de résistance et d’action collective d’habitants qui ont abouti, dans les deux cas étudiés ici, à des actions en justice et à l’intervention d’avocats, engagés au nom des collectifs d’habitants, à l’encontre des porteurs de l’opération, des architectes, entreprises et promoteurs, jusqu’aux pouvoirs publics à l’initiative de ces projets. Rien ne laissait pourtant prévoir la constitution de telles mobilisations. Pour ces habitants dont la majorité vivait en HLM, devenir propriétaire était une aubaine. Grâce à ces programmes d’accession réservés aux bénéficiaires du logement social, ils bénéficiaient en effet, d’un appartement à un prix inférieur d’au moins un tiers à celui du marché et aujourd’hui encore ils considèrent qu’ils ont eu beaucoup de chance. Les accessions sociales à la propriété sont des opérations immobilières destinées aux publics populaires souhaitant acquérir leur résidence principale. Ces opérations bénéficient d’aides de l’État et sont soumises en contrepartie à des contraintes spécifiques comme le respect de plafonds de ressources pour les accédants. Les deux opérations que nous allons évoquer ont été initiées d’un côté, par la municipalité de Nanterre et l’établissement public d’aménagement Seine Arche, et de l’autre, par la ville de Paris, avec un but différent. Pour la municipalité de Nanterre, il s’agissait à travers cette opération livrée en 2014, de fixer une population nanterrienne de longue date dans une perspective d’empowerment de ses habitants. La mairie de l’arrondissement du nord de la capitale à l’initiative de cette opération livrée en 2008, souhaitait implanter un bâtiment neuf en accession sociale à la copropriété au cœur d’un projet urbain de “revitalisation” d’un quartier, afin d’y créer de la mixité sociale. Réservées à des locataires HLM présents sur ces deux villes, au-delà d’une question de revenus, les considérations locales en termes de peuplement et d’urbanisme ont donc joué un rôle essentiel dans la genèse de ces projets : participation des accédants à la conception du projet et caution de la collectivité vis-à-vis des banques prêteuses aux accédants nanterriens ; respect tout relatif de la contrainte des plafonds de ressource pour l’opération parisienne, afin de faire venir des classes moyennes dans un quartier populaire. Ces opérations n’ont pas connu l’issue attendue par leurs initiateurs et les considérations locales que l’on vient d’évoquer ont joué un rôle non négligeable dans les mobilisations ultérieures des habitants concernés. Ces dernières se sont constituées avant même la livraison des bâtiments, suite à la découverte à Nanterre, d’importants défauts de construction (manque de fondations, problèmes d’étanchéité etc.) ; et à Paris, dès la réunion organisée par la société d'économie mixte qui pilotait l’opération, afin de choisir le syndic. Cette contestation se prolonge après leur entrée dans les logements, les habitants se plaignant de problèmes d’usages et de ce qui leur semble relever de défauts de réalisation. Sur nos deux terrains, ces plaintes se sont progressivement faites collectives, jusqu’à la constitution de fronts de mobilisations. C’est la dimension inattendue de ces protestations, tout autant que leur nature et le sens politique à leur donner que nous souhaitons interroger ici. Cette démarche rejoint la perspective générale du dossier en ce qu’elle met à jour des pratiques d’émancipation peu visibles, hors des scènes d’expression traditionnelles du politique. Ces terrains proposent des configurations qui auraient tôt fait d’être rangées du côté des pratiques strictement individualistes. Pourtant, on observe dans ces deux cas, la constitution discrète mais puissante de véritables prises individuelles et collectives sur le réel. Nous tenterons de préciser la portée et les limites de ces prises qui tentent d’articuler, non sans tensions, la possession d’un “bien” et une démarche d’“émancipation”. Notre lecture de ces relations repose sur l’idée que l’habitat n’est pas un bien comme les autres au sens où il est indissociable de “l’habiter”. La sphère du privé, de la vie privée, y est par essence prédominante et dans le même temps, celle de la “vie quotidienne” est partagée par tous. C’est, selon nous, l’importance commune donnée à cette sphère du privé qui a permis l’émergence et a donné sa force à un “public” , et a favorisé des formes discrètes d’émancipation individuelle et collective. Cependant, dans des copropriétés de ce type, le partage nécessaire au quotidien de cet habiter, constitue un danger pour l’engagement commun et fragilise la portée de ce processus d’émancipation. Dans les deux cas en effet, nous avons constaté combien cet engagement a éprouvé les sociabilités habitantes, avec néanmoins un sentiment partagé, celui d’une histoire qui n’est pas close.
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halshs-04242515 , version 1 (15-10-2023)
halshs-04242515 , version 2 (13-11-2023)

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Identifiants

  • HAL Id : halshs-04242515 , version 2

Citer

Jérôme Boissonade, Claire Carriou. Habiter en copropriété peut-il être émancipateur ?. Le Manuscrit. Pratiques d'émancipation urbaines, 1, , pp.27-53, 2023, Devenirs urbains, 9782304054781. ⟨halshs-04242515v2⟩
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